Vinez à moi lipitinenfants !
Il est peu d'endroit comme celui-là. Tôt le matin, on n'y croise guère qu'un pakistanais serpillant son rmi, au détour de couloirs déserts et froids. Passé les quelques marches qui y mènent, c'est un train fantôme dans une improbable foire du trône ; à l'accueil un ours bourru lève à peine les yeux de son sudoku quotidien, quand aimable vous lui demandez un ticket. On n'y croit pas vraiment, mais la foi nous fait tirer la porte bardée de graphitis. Sans sésame on est entré dans ce haut-lieu qu'est le rez-de-chaussée du bâtiment. Sur les quatre ascenseurs vers l'échaffaud, un seul est en fonctionnement. L'homme aux ascenseurs sans effort ouvre devant vous les portes du paradis ; ce n'est jamais la même cabine, et pourtant nul ne semble s'en rendre compte. C'est que l'homme aux ascenseur, habile magicien, se plaît à brouiller les pistes jusqu'à son antre interdite. On appuie désespérément sur le bouton du troisième, mais qui a jamais pu vérifier l'étage réel auquel on atterrit ?
Le sol, à cet entre-deux-étages, est couvert d'une épaisse moquette qui étouffe les pas. Les portes sont closes de part et d'autre du corridor et vous regardent passer. La sortie de secours, à gauche, est condamnée. Quel secours peut-on attendre en un tel endroit ? On gagne en silence la salle des réjouissances, celle-là qu'on nous a vanté comme la chambre des tortures, le must de ce spectacle mort-vivant. Il n'y a là rien quand on arrive.
La peur nait de peu de choses. L'ambiance y est oppressante, l'odeur vaguement familière de poussière rance. On s'assied, mais l'on comprend que cette odeur, au fond, est celle de notre sueur.
Des heures passent sans un bruit. Parfois l'homme aux ascenseurs envoie dans notre direction une trille effrayante, improbable cri d'orfraie dans le silence ouaté des ordinateurs ronronnants.
A douze heures moins dix, un mouvement général nous entraîne vers les entrailles du bâtiment. Enfin du monde. Des gens par dizaine qui s'entassent en une drôle de file indienne improvisée. On passe à une attraction dans l'attraction, peut-être joue-t-on un film d'horreur ici, ou un spectacle de magie. Il n'en est rien.
On reçoit une platrée de pâtes au beurre d'un drôle d'individu robotique. Il accomplit chaque jour à heure fixe les mêmes gestes infiniment répétés. On s'asseoit encore, à une table de huit jamais emplie. La foule qui fait la queue près de nous est un rempart qui nous coupe des petites gens de la cafétaria.
A douze heures vingt-deux, on appelle à nouveau l'homme aux ascenseurs, mais comme il ne fait jamais rien pour rien, il nous faut attendre qu'il vomisse un nouveau flot de gens devant nous. Cela ne cessera donc jamais ?
L'après-midi passe comme une matinée. Sans bruit. Parfois, un courant d'air froid vient faire vaciller notre détermination, et l'on reste encore peu, jusqu'à ce que, finalement, on se lève pour partir. L'homme aux ascenceurs a beau ne rien dire, on sent bien lorsqu'il nous délivre au rez-de-chaussée qu'il sait son emprise sur notre destinée. Il sait que l'on reviendra demain ; quel que soit notre volonté, on finit toujours pas y revenir. Comment pourrions-nous faire autrement, quand rien d'autre n'habille notre quotidien ?
J'avais toujours sentit une présence étrange derrière mon dos quand je prenais cet ascensseur. Maintenant je sais ce que c'est. Mais il reste toujours un point d'ombre sur les présences que je resent avant de monter et après être descendu de l'ascensseur. Mais les voix dans ma tête me disent que tout va bien, donc c'est bon je n'ai pas à m'inquieter.
par Zacharias Galouzeau de Moussaoui | jeudi 11 mai 2006 à 10:44:00 UTC+2
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