Les aventures extraordinaires de Zak Galou - Episode dix : Un arrière-train peut en cacher un autre
Zak Galou, non content de s'acheminer doucement vers un statut d'ex-stagiaire-pernycieux, prenait le train à la gare de Merdon lorsqu'en levant les yeux vers le pseudo-téléviseur affichant les horaires des prochains, il lut "Train sans arrêt".
C'en était trop pour cet amoureux de la logique classique et non classique, et il arrêta un quidam qui passait par là pour lui demander des explications.
C'en était trop pour cet amoureux de la logique classique et non classique, et il arrêta un quidam qui passait par là pour lui demander des explications.
"Pardon monsieur, commença Zak Galou avec toute la politesse dont il était capable envers un plouc décérébré ordinaire, est-ce que c'est vrai qu'il y a des trains sans arrêt ?"
Le quidam, un sympathique quadragénaire qui approchait de la retraite - on saura sous peu pourquoi - était de taille moyenne, et quoi que visiblement prolétaire de gauche (pléonasme, me dirait Bubu), il portait avec une certaine élégance le pantalon de velours vert et le pull rouge à tête de cerf violette tricoté par sa femme. Aimable en toute circonstance, il envisagea néanmoins d'envoyer sur les roses cet hurluberlu à cheveux longs, duvet au menton et tee-shirt che-guevaresque, jusqu'à ce qu'il aperçoive, sur le biceps gauche et saillant de Zak Galou, et dépassant à peine du tee-shirt, la tête de mort noire et rouge qu'il s'était fait tatoué à son entrée en première scientifique, option "Vie de la Terre". Devinant qu'il avait à faire à ce qu'on appelait dans les journaux télévisés, une "racaille", ou encore un "loubard", bref, un "jeune de banlieue", le quidam décida de la jouer profil bas et entreprit d'expliquer à notre héros débonnaire ce qu'il voulait savoir.
"Vous savez, jeune homme, des trains, il y en a sans arrêt. Alors ne vous inquiétez pas s'il y a un train sans arrêt, comme il y a des trains sans arrêt, vous pourrez en prendre un.
_ Mais s'il est sans arrêt, je ne pourrais pas le prendre ?
_ Ah ba non pour sûr crénomdidjou" - il avait des origines périgourdines.
Zak Galou demeura un instant perturbé par ce non-sens évident qui consistait à vouloir prendre des trains sans arrêt.
"La question qui m'interloque, reprit-il finalement, c'est que les trains sans arrêt sont forcément vides, n'est-ce pas ?
_ Euh... vous croyez ?
_ Eh bien oui, puisqu'ils ne s'arrêtent nulle part.
_ C'est que, ils partent à plein, répondit le quidam.
_ Quoi ? Ils partent tous ensemble ? Mais ce doit être une cacophonie insupportable sur la voie !
_ Un embouteillage, vous voulez dire ?
_ Qu'ai-je dit ?
_ Une cacophonie.
_ Ah. Pardon, j'ai lapsussé."
Conscient qu'il abusait du temps peu précieux du quidam, Zak Galou le remercia de son aide et commença à s'éloigner lorsqu'une nouvelle question essentielle vint le turlupiner.
"Pardon encore, mais les trains sans arrêts sont-ils forcément omnitrains ?
_ Omnibus, vous voulez dire ?
_ Non, omnitrains. Omnibus, c'est pour les bus, voyons !" Les remarques de son interlocuteur commençaient à agacer sérieusement notre héros, et il commençait à envisager une frapper chirurgicale à hauteur de son plexus solaire, pour lui rabattre son caquet, lui faire ravaler sa chique, bref, lui niquer sa race.
"Ah je vous arrête, jeune homme, omnitrain ça n'existe pas", répliqua le quidam.
Cette sortie laissa Zak Galou dans un désarroi cosmique.
"Alors tous les trains sautent forcément une gare ?
_ Non, bien sûr que non. Il y a des trains omnibus.
_ Mais voyons, le reprit Zak Galou, cette fois particulièrement énervé : Omnitrain ! Un train omnitrain s'arrête dans toutes les gares, un bus omnibus s'arrête à tous les arrêts de bus. Vous imaginez un train s'arrêter à tous les arrêts de bus, vous ? Déjà qu'ils sont tous le temps en retard ou en grève !
_ Ah vous m'ennuyez, monsieur, je ne travaille pas à la SNCF moi, je suis à la RATP, se dédouana le quidam qui, effectivement, travaillait comme contrôleur à la RATP. C'est la journée des fous furieux aujourd'hui ! Pas plus tard que ce matin, alors que je me rendais au travail par le train de 10h03, un drôle de type m'a demandé si les voies ferroviaires étaient à sens unique !
_ En un sens, oui. D'aillleurs, ça me fait penser : un train sans arrêt, est-ce qu'il en cache forcément un autre sans arrêt ?
_ Mais non, pauvre enculé - ils devenaient très proches au fil de leur conversation - quand on dit qu'un train peut en cacher un autre, ce n'est pas sans arrêt, c'est de temps en temps !
_ Ah. Dites donc, vous qui êtes dans le métier, vous savez si les trains qui allaient vers l'Est dans les années quarante, ils étaient sans arrêt omnitrains ?"
Le brave agent de la RATP se crut soudain pris à parti et lui répondit en fulminant :
"Ah ça va bien oui ! Il est 12h34, je rentre chez moi après une dure journée, et vous venez m'emmerder avec vos histoires de déportation ! Qu'est-ce que j'en sais moi ? Est-ce que je vous demande si le train-train quotidien est passé en retard ce matin ? Je vais de ce pas déposer un appel à la grève auprès des camarades cheminots, il y en a assez d'être agressés du soir au matin."
Dubitatif, Zak Galou s'éloigna en songeant qu'il était fascinant qu'un fonctionnaire puisse commencer sa journée quand un autre la commençait à peine. C'était un peu comme l'empire britannique qui ne se couchait jamais. A n'importe quelle heure en France, dans les labos de chercheurs, à la Poste, à la SCNF, chez EDF, dans les écoles, les collèges, les lycées - plus pour longtemps dans certains cas, nous fera remarquer Bubu - un peu partout en France, à tout momment, des fonctionnaires sont là qui dorment. "C'est un peu comme si le soleil ne se levait jamais sur la fonction publique", songea Zak Galou en grimpant dans un train à destination du LaipSiks.
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